sábado, 3 de julio de 2021

Exposition dramatique du désir mimétique

 

Extrait de René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde. With Jean-Michel Oughourlian and Guy Lefort. 1978. Paris: Grasset-Le Livre de Poche, 1991; 452-54.

 

R.G.: Cette technique hypnotique, dont vous parlez, consiste le plus souvent à faire fixer un objet brilliant par le sujet et à lui demander de concentrer son attention sur cet objet.

 

J.-M. O.: Absolument. Ceci me paraît d'ailleurs particulièrement éclairant. En effet, tous les auteurs ont bien vu, et notamment Pierre Janet, que l'hypnose s'accompagnait d'un "rétrécissement du champ de la conscience" et que la suggestion ne pouvait s'exercer que sur un sujet attentif.

                 Nous retrouvons ici des termes comme "fascination" ou "prise du regard" sous la plume de nombreux auteurs. Ceci me paraît très évocateur de l'ascendant qu'exerce le modèle sur le sujet. Toutes les techniques hypnotiques ne font rien d'autre que tenter de reproduire, aussi fidèlement que possible, les conditions de fixation du sujet sur le modèle, conditions qui permettent au désir du sujet de se modeler sur le désir de l'Autre

            C'est bien pourquoi l'hypnose peut aussi bien se pratiquer sur les planches, montrant de façon explicite et experimentale le jeu mimétique à un public auquel le théâtre de Shakespeare, par exemple, propose de voir la mimésis à l'œuvre au travers de situations plus élaborées.

               Tous les paradoxes du sacré se retrouvent du reste dans l'hypnose: si elle peut faire rire au théâtre, comme toute caricature, elle peut également être très dangereuse, lorsqu'elle est maniée par des malfaiteurs, our encore très bénéfique et curative, lorsqu'elle est utilisée en médecine.


R.G.: Ce que vous dites du théâtre, et notamment de Shakespeare, m'intéresse énormément, vous vous en doutez.


J.-M. O.: En effet. Vous montrerez, je pense, sans aucune difficulté, dans le théâtre de Shakespeare, comme dans tous les autres, l'exposition du fonctionnement de la mimésis et de tous les entrechats du désir mimétique.

                Il y a en particulier un phénomène qui apparaît très souvent au théâtre et se rapproche beaucoup de l'hypnose: c'st la passion amoureuse. Celle-ci en effet, au fur et à mesure qu'elle se développe, rétrécit le champ de la conscience et concentre par conséquent sur l'objet du désir toute l'attention du sujet. Le théâtre commence là, précisément, où l'objet apparaît. La fascination, ici, n'est plus fixée sur le modèle, mais sur l'objet du désir. Le triangle apparaît en filigrane, les rivaux peuvent se présenter, le théâtre naît comme expression transfigurée et symbolisée du désir mimétique, au-delà de ses expresions spontanées ou caricaturales que sont la possession et l'hypnose.

                Il faut souligner ces parentés. Il me semble, du reste, que dans certaines cultures, des formes intermédiaires entre théâtre et possession apparaissent, soulignant bien la continuité des phénomènes: un jeune homme est-il amoureux d'une jeune fille que l'on dit aussitôt qu'il est possédé par elle. (Note 99)

                    Dans la passion amoureuse, il faut y insiter, le chap de la conscience se rétrécit à un seul objet et on ne voit plus les autres... A la manière dont l'hypnotisé ne voit plus que l'objet nbrillant présenté par l'hypnotisateur; celui-ci du reste lui dit: "Vous n'entendez  plus à présent que ma voix." Et en effet... le désir mimétique est perte de la relativité, absolutisation du modèle. Et aussi limitation de la liberté.



(...)



Note 99: I.M. Lewis, Ecstatic Religion, 73-75. Michel Leiris, la Possession et ses aspects théâtraux chez les Éthiopiens de Gondar. Il faut lire également le chapitre VIII de Psychologie collective et analyse du moi sur les rapports entre la passion amoureuse et l'hypnose: "Verliebtheit und Hypnose", Gesammelte Werke XIII, 122-128. Les premiers écrits de Freud sur l'hypnose sont réunis dans le volume I de la Standard Edition.

 

 

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