Un passage de L'Antéchrist de Renan —le Christianisme la magie et le théâtre à l'âge de Néron:
Toutes sortes d'intrigues que l'insuffisance des documents ne nous permet pas de démêler aggravaient la position des chrétiens. Les Juifs étaient très-puissants auprès de l'empereur et de Poppée. Les "mathématiciens", c'est-à-dire les devins, entre autres un certain Balbillus d'Éphèse, entouraient l'empereur, et, sous prétexte d'exercer la partie de leur art qui consistait à détourner les fléaux et les mauvais présages, lui donnaient d'atroces conseils. La légende qui mêle à tout ce monde de sorciers le nom de Simon le Magicien est-elle sans aucun fondement? Cela se peut sans doute; mais le contraire se peut aussi. L'auteur de l'Apocalypse est fort préoccupé d'un "faux prophète", qu'il représente comme un suppôt de Néron, comme un thaumaturge faisant tomber le feu du ciel, donnant la vie et la parole à des statues, marquant les hommes du caractère de la Bête. C'est peut-être de Balbillus qu'il s'agit; il faut reconnaître cependant que les prodiges attribués au Faux Prophète par l'Apocalypse ont beaucoup de ressemblance avec les tours d'escamotage que la légende attribue à Simon. L'emblème d'un agneau-dragon, sous lequel le Faux Prophète est désigné dans le même livre, convient mieux également à un faux Messie tel qu'était Simon de Gitton qu'à un simple sorcier. D'un autre côté, la légende de Simon précipité du ciel n'est pas sans analogie avec un accident qui arriva dans l'amphithéâtre, sous Néron, à un acteur qui jouait le rôle d'Icare. Le parti arrêté chez l'uteur de l'Apocalypse de s'exprimer en énigmes jette sur tous ces événements beaucoup d'obscurité; mais on ne se trompe pas en cherchant derrière chaque ligne de ce livre étrange des allusions aux circonstances anecdotiques les plus minutieuses du règne de Néron.
Jamais, du reste, la conscience chrétienne ne fut plus ppressée, plus haletante qu'à ce moment. On se croyait en un état provisoire et de très-courte durée. On attendait chaque jour l'apparition solennelle. "Il vient!... Encore une heure!... Il est proche!..." étaient les mots qu'on se disait à tout instant. L'esprit du martyre, cette pensée que le martyr glorifie le Christ par sa mort, et que cette mort est une victoire, était déjà universellement répandu. Pour la païen, d'un autre côté, le chrétien devenait une chair naturellement dévolue au supplice. Un drame qui avait vers ce temps beaucoup de succès était celui de Laureolus, où l'acteur principal, sorte de Tartuffe fripon, était crucifié sur la scène aux applaudissements de l'assistance et mangé par un ours. Ce drame était antérieur à l'introduction du christianisme à Rome; on le trouve représenté dès l'an 41; mais il semble au moins qu'on en fit l'application aux martyrs chrétiens; le petit nom de Laureolus, répondant à Stéphanos, pouvait provoquer ces allusions.
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