Le délire et la folie, transformés en théâtre de la cruauté, un spectacle choise pour les curieux et les aristocrates... D'après Diderot, dans son dialogue "Cinqmars et Derville" (1760):
Cinqmars.— Vous la rappelez-vous, cette histoire [des convulsionnaires]?
Derville.— A merveille.
Cinqmars.— Eh bien, voyons donc ce qu'elle a de si plaisant.
Ils continuente de marcher.
Derville.— Je n'y mettrai pas les grâces du chevalier.
Cinqmars.— N'importe, contez toujours.
Derville.— Eh bien, le chevalier a été curieux d'assister à une assemblée de convulsionnaires. Il en a vu une à qui on mit un bourrelet, qui contrefaisait l'enfant, marchant sur ses genoux, et qu'on étendit ensuite sur une croix; en effet, on la crucifia, on lu perça de clous les pieds et les mains; son visage se couvrit d'une sueur froide, elle tomba en convulsion. Au milieu de ses tourments, elle demandait du bonbon, à faire dodo, et mille autres extravagances que je ne me rappelle pas. Détachée de la croix, elle caressait avec ses mains, encore ensanglantées, le visage et les bras des spectaturs... et l'embarras de Mme de Kinski... et les mines du chevalier en les contrafaisant, vous les rappelez-vous?
Cinqmars.— Oui, mais vous ne riez plus.
Derville, étonné et embarrassé.— Plaît-il?
Cinqmars.— Vous ne riez plus; ce fait ne vous paraît donc plus si plaisant?
Derville.— C'est que la façon de conter fait tout. Je vous l'avais bien dit, cela n'a pas le même sel.
Cinqmars, en lui prenant la main.—Ce n'est pas cela, mon ami; l'évaporation générale à laquelle on participe sans s'en apercevoir à la fin d'un repas bruyant, nous ôte souvent la faculté de réfléchir; et le rire déplacé ou inconsidéré en est la suite, quand il ne vient pas d'un vice du cœur. Vous me paraissiez tous vis-à-vis du chevalier, lorsqu'il contrefaisait les convulsionnaires, comme des gens qui iraient aux Petites-Maisons [l'hôpital des fous] par partie de plaisir, repaître leur férocité du tableau de la misère et de la faiblesse humaines. Comment, morbleu, vous n'êtes affecté que du ridicule de cette indécente pantomime, et vous ne voyez pas que le délire et l'aliénation de ces têtes fanatiques les rendent cruels et homicides envers eux et leurs semblables?
Derville.— J'en conviens; mais au diable, si je puis les plaindre à un certain point. C'est un genre de bonheur qu'ils ont choisi.
Cinqmars.— Soit. Mais la cause de ce choix est absurde!... Ne tient-il pas au dérangement des organes, et par conséquent à la faiblesse de notre nature?... Une fibre plus ou moins tendue... Tenez, un de vos éclats de rire immodérés pouvait vous rendre aussi à plaindre... ou aussi plaisant qu'eux.
Derville.— D'accord.
Cinqmars.— Et les conséquences, monsieur, les conséquences! y avez-vous pensé? Croyez-vous que le fanatisme poussé à ce degré se borne à faire pitié aux uns, et à exciter le mépris ou le rire des autres? Tien ne se communique plus vite, rien n'excite plus de fermentation que cette chaleur de tête... Un homme parvenu à se faire un jeu des tourments, et même de sa vie, sera-t-il fort occupé du bonheur et de la conservation de ses semblables? Et si son voisin, son ennemi surtout, a des opinions différentes; s'il les croit nuisibles, dangereuses; voyez-vous où cela mène? Riez donc, morbleu, riez si vous en avez le courage.
(...)
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