lunes, 13 de julio de 2020

La Septième Fonction des questions après une conférence






La septième fonction des questions après une conférence
(Extrait de Laurent Binet, La Septième fonction du langage, ch. 63):


Normalement, Simon est supposé avoir un niveau correct en anglais, mais bizarrement, ce qui est considéré comme normal en France, en matière de maîtrise d'une langue étrangère, se révèle toujours en situation largement insuffisant.
Ainsi Simon ne comprend-il qu'une phrase sur trois à la conférence de Morris Zapp. À sa décharge, il faut dire que le sujet, sur la déconstruction, ne lui est pas très familier, et engage des concepts difficiles ou à tout le moins obscurs. Mais enfin, justement, il espérait y trouver des éléments d'éclaircissement.

Bayard n'est pas venu et Simon s'en réjouit: il aurait été insupportable.
Ceci dit, puisque le propos lui échappe largement, il cherche le sens ailleurs: dans les inflexions ironiques de Morris Zapp, dans les rires entendus du public (chacun souhaitant sceller son appartenance de droit à l'ici-et-maintenant de cet amphithéâtre — 'encore un amphithéâtre', se dit Simon, victime d'un mauvais réflexe structuralo-paranoïaque consistant à rechercher des motifs récurrents), dans les questions de l'auditoire dont la teneur n'est jamais le véritable enjeu mais qui sont plutôt des tentatives, sinon de challenger le maître, du moins de se positionner par rapport aux autres auditeurs comme un interlocuteur légitime doué d'un esprit critique affûté et de capacités intellectuelles supérieures (en un mot, de se distinguer, comme dirait Bourdieu). Simon devine, au ton de chaque question, la situation de l'émetteur: undergrad, doctorant, professeur, spécialiste, rival... Il détecte sans difficulté les chiants, les timides, les fayots, les arrogants, et, les plus nombreux, ceux qui oublient de poser leur question, débitant d'interminables monologues, enivrés par leur propre parole, mus par cet impérieux besoin de donner leur avis. Manifestement, quelque chose d'existentiel se joue dans ce théâtre de marionettes. (P. 311-12).


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