Un passage de ce volume de À la recherche du temps perdu, où le narrateur parle des impressions tout différentes des jours où il avait rencontré Albertine comme une tout jeune fille à Balbec, et puis comme une fille libre et désirée par tous, comparées à celles de la jeune femme de Paris, de la prisonnière,"Albertine, qui vivait avec moi":
Les soir où cette derniére ne me lisait pas à haute voix, elle me faisait de la musique ou entamait avec moi des parties de dames ou des causeries que j'interrompais les unes et les autres pour l'embrasser. Nos rapports étaient d'une simplicité qui les rendait reposants. Le vide même de sa vie donnait à Albertine une espèce d'empressement et d'obéisance pur les seules choses que je réclamais d'elle. Derrière cette jeune fille, comme derrière la lumière pourprée qui tombait aux pieds de mes rideaux à Balbec pendant qu'éclatait le concert des musiciens, se nacraient les ondulations bleuaâtres de la mer. N'était-elle pas, en effet, (elle au fond de qui résodait de façon habituelle une idée de moi si familière qu'après sa tante j'étais peut-être la personne qu'elle distinguait le moins de soi-même) la jeune fille que j'avais vue la première fois, à Balbec, sous son polo plat, avec ses yeux insistants et rieurs, inconnnus encore, mince comme une silhouette profilée sur le flot? Ces effigies gardées intactes dans la mémoire, quand on les retrouve, on s'étonne de leur dissemblance d'avec l'être qu'on connaît; on comprend quel travail de modelage accomplit quotidiennement l'habitude. Dans le charme qu'avait albertine à Paris, au coin de mon feu, vivait encore le désir que m'avait inspiré le cortège insolent et fleuri qui se déroulait le long de la plage et, comme Rachel gardait pour Saint-Loup, même quand il la lui eut fait quitter pour Saint-Loup, même quand il la lui eut fait quitter, le prestige de la vie de théâtre, en cette Albertine cloîtrée dans ma maison, loin de Balbec, d'où je l'avais précipitamment emmenée, subsistaient l'émoi, le désarroi social, la vanité inquiète, les désirs errants de la vie de bains de mer. Elle était si bien encagée que, certains soirs même, je ne faisais pas demander qu'elle quittât sa chambre pour la mienne, elle que jadis tout le monde suivait, que j'avais tant de peine à rattraper, filant sur sa bicyclette, et que le liftier même ne pouvait pas me ramener, ne me laissant guère d'espoir qu'elle vînt, et que j'attendais pourtant toute la nuit. Albertine n'avait-elle pas été, devant l'hotêl, comme une grande actrice de la plage en feu, excitant les jalousies quand elle s'avançait dans ce théâtre de nature, ne parlant à personne, bousculant les habitués, dominant ses amies, et cette actrice si convoitée n`était-ce pas elle qui, retirée par moi de las scène, enfermée chez moi, était là, à l'abri des désirs de tous qui désormais pouvaient la chercher vainement, tantôt dans ma chambre, tantôt dans la sienne, où elle s'occupait à quelque travail de desin et de ciselure?
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